Mon père était un clown dans la vraie vie.
Il avait vu des films de Charlot dans son enfance. Muet.
Il les avait assimilés. Sans rien dire et sans même le savoir.
L’ allure un peu raide, déhanchée, il l’ avait intégrée
et il marchait souvent comme un pantin maniéré en train de déambuler… dans la « vraie vie »…
Les gens se retournaient sur lui en rue, l’ air très étonné.
Mais lui ne les voyait pas car il s’ était incarné en véritable Charlot.
Il parvenait à hausser les sourcils très haut
et à avoir un sourire anguleux qu’ il pouvait arborer à répétition, à un rythme saccadé.
Jamais alors il ne parlait car il était personnage de film. Muet.
Certains passants ne comprenaient pas bien ce qu’ il voulait.
Il ne voulait rien.
Il cherchait juste à exister. Comme dans un film.
A la fin de sa vie, avec son éternel cigarillo au coin de la bouche et son imperméable beige,
il avait fini par ressembler au lieutenant Columbo.
Il lui suffisait de sourire, de se gratter la tête et le charme opérait.
Il ÉTAIT Columbo. Il éclatait parfois de rire comme si l’ enquête imaginaire
qu’ il menait venait de lui faire penser à quelque chose d’ important.
Mais l’ important, c’ est qu’ il ne pensait plus à rien … d’ important.
Son œuvre, réalisée auprès de nous, il l’ avait à présent accomplie.
Nous étions complices de l’ image qu’ il avait su créer.
Pour de vrai.
Il nous suffit de repenser à lui … et la magie opère.