En avril 1973, je n’avais pas terminé mes études de philologie germanique, ni fini mon mémoire, ni passé l’examen d’ agrégation pour pouvoir exercer dans l’ enseignement secondaire supérieur ( intitulé l’ AESS ) . Je fus pourtant convoqué par le directeur d’ un Collège pour signer mon contrat d’enseignant, prenant « cours » dès le 1er septembre suivant. Il y avait urgence pour lui de trouver un professeur de langues dans le cycle supérieur et le critère essentiel qui avait prévalu ( et je ne l’appris que bien plus tard ) c’est que ce directeur avait téléphoné au Curé de ma paroisse pour en savoir plus à mon sujet. Il lui avait répondu : Ah, Philippe, il lit à la messe le dimanche et il est dirigeant de Patro !
Et ce furent ces raisons qui décidèrent de mon engagement prématuré.
En ce temps-là, on faisait 120 heures de stages pour obtenir son brevet de dirigeant, et 20 heures de stages pratiques pour devenir licencié-agrégé… ad vitam .
Cela rejoint la réflexion de ce Principal d’un autre Collège, lassé de voir de jeunes diplômés ne sachant s’imposer face à leurs élèves : J’en suis arrivé à ne plus croire en leurs certifications officielles du moment qu’ils savent « tenir leur classe ».
Pour arriver à se faire respecter, il existe des enseignant(e)s diplômé(e)s qui n’hésitent pas à utiliser des mesures d’un autoritarisme exagéré, infligeant des punitions pour le moindre faux-pas, notant les copies des devoirs et des interrogations en barrant les fautes au bic rouge, en grand, avec des remarques cinglantes dans la marge, et parfois de manière outrancière.
Il n’est pas facile, bien sûr, de gérer une classe d’ élèves turbulents, tout en ayant à leur enseigner le programme prévu pour cette branche-là cette année-là.
Mais quand les mauvais résultats dans le bulletin se multiplient,et que finalement, un constat d’échec est avéré, l’élève doit se soumettre, quand c’est encore d’usage, à un ou des « examen(s) de passage » s’il veut réussir son année.
Durant ma carrière d’enseignant, j’ai toujours eu à coeur d’essayer, durant les vacances d’été, de venir en aide à ces élèves éclopés, démotivés, voire désespérés, ayant perdu toute confiance en eux. Il est facile de « buser » quelqu’un ( en utilisant un belgicisme étonnant ) mais, Bon Dieu, je vous le jure, comme il faut du temps et de la patience pour remettre en selle un(e) adolescent(e) qui n’ a que peu de temps pour réussir l’ examen de « passage ».
Il m’a fallu chaque fois, très vite, trouver les mots justes , pour leur redonner courage et confiance.
Je n’ai pu m’occuper que d’un(e) seul(e) élève, durant de longues semaines de « vacances » pendant 50 années, durant lesquelles j’avais choisi de les faire réussir. Et oui, à 50 reprises, je … réussis à leur faire réussir leur « examen de passage » et du même coup, souvent, à leur permettre de pouvoir ainsi passer dans la classe supérieure.
Si je raconte tout cela, c’est juste pour dire que casser quelqu’un, c’est facile, quand on a le pouvoir, mais pour le « requinquer » , le « reconstruire » et lui redonner le goût de cette matière qu’il ou elle a eu en horreur durant 10 mois, cela demande beaucoup, beaucoup de temps.
Et qu’il faut se rappeler cette maxime fondatrice de toute méthode pédagogique « Ce qui compte, ce n’est pas la matière, mais la manière ! » C’est évidemment plus faisable en cours particulier, j’en conviens, bien que cela devrait être aussi possible, même quand on a toute une classe à gérer.
La manière de s’imposer face à sa classe tient aussi au sens de la répartie, essentiel, quand on a affaire à de jeunes adolescents. J’en veux pour preuve cette anecdote, devenue célèbre, relative à un incident qui se déroula en 1ère candidature en Philo et Lettres, à l’ université, s’il vous plaît, lors du cours de philosophie d’une dame super-compétente , mais qui devait faire face à un auditoire de près de 500 étudiant(e)s . Elle avait pour mission de nous faire comprendre toutes les théories des philosophes depuis les Grecs jusqu’aux plus contemporains.
Dans le haut de l’ auditoire se trouvait un énergumène éméché, qui avait fait « la bringue » toute la nuit, et qui, par ailleurs, s’avéra être un véritable goujat, puisqu’à l’arrivée de la professeure, il se leva et hurla : – Flo-Flo, à poil !
Sans se départir de son calme, de son élégante manière d’être, elle empoigna le micro, et se tournant vers l’endroit d’où était venue cette infâme apostrophe, elle répliqua :
– Tout de suite, Monsieur, si vous en valiez la peine !
Un tonnerre d’ applaudissements s’ ensuivit, et le malotru s’éclipsa dare-dare par une porte située tout en haut de l’auditoire, sous les huées.
Les cours suivants, et jusqu’à la fin de l’année, nous fûmes plus assidus, plus attentifs aux explications de cette professeure , et oui, disons-le, nous prîmes goût à la philosophie, car elle nous avait conquis par cette brillante « passe d’armes ».
Comme quoi, l’ âge importe peu, le fait d’enseigner demeure une entreprise assez « périlleuse » car elle met en présence une seule personne devant un « public » qu’il faut épater en quelque sorte, pour qu’on apprécie, grâce à « sa manière » d’enseigner, « la matière » à apprendre.
Je présume que toutes mes réflexions trouveront un écho dans le « pacte d’excellence » où on explicitera comment enseigner aux enseignant(e)s … comment mieux enseigner.
Je souhaite, à ce propos, évoquer une rencontre avec Jean-Louis, rencontré il y a 3-4 ans, en rue, par hasard. Il est professeur à l’université, et il m’ apprit qu’il faisait partie du comité des experts chargés de mettre au point le « Pacte d’ Excellence ». Il était plein d’enthousiasme et me déclara, tout bonnement :
– Tu verras, Philippe, avec ce « Pacte » , en 2050, nous aurons le meilleur système éducatif au monde !
On ne sera peut-être plus là pour le constater, Jean-Louis, mais en attendant, quand je vois le système d’évaluation des professeurs qui vient d’être voté, je repense à cette rencontre lors d’une réunion de parents d’élèves.
Le professeur s’adressant au parent ( souvent la maman )
– Vous savez, il ne fiche rien en classe, il ne rend pas ses devoirs à temps et n’étudie pas ses leçons !
– Mais enfin, c’est de votre faute, je vous avais demandé de le faire travailler !
Quand mon petit frère revenait de l’école primaire, à la maison, après 4 heures, et qu’on lui demandait :
– Qu’as-tu appris à l’école aujourd’hui ?
Par lassitude, ne voulant donner aucun détail de sa journée, il répondait platement :
– N’importe quoi !
Parole prophétique, oserais-je le dire, car j’ai vraiment comme l’impression qu’on va faire du « n’importe quoi » en mettant en place certaines mesures qui sont jugées excellentes… sur le papier.
Les enseignants sont fatigués, fatigués, fatigués depuis longtemps, parce qu’ ils vivent souvent dans l’urgence, au jour le jour. J’ai souvent dit, avec le sourire, et donc, on ne me croyait pas : Pour être enseignant, il faut une condition physique exceptionnelle. Et aussi une forme de foi en la nature humaine. Il est temps de recruter ce genre de personnes, les meilleures qui soient. Je me rappelle avoir entendu Eric Domb, directeur-fondateur de Pairi Daiza, dire à la radio : « Mais bon sang, ce sont les meilleurs étudiants, les plus compétents, les plus vaillants et les plus … excellents qui devraient être mis en place comme professeurs dans les écoles ! »
Oserais-je évoquer à ce propos un grand homme qui dut aussi réagir dans l’urgence ( car urgence il y avait ) Sir Winston Churchill ? Quand le 10 mai 1940 débute la deuxième guerre mondiale, Winston Churchill est nommé Premier Ministre, il n’a pas le temps de suivre un cours de « gestion de conflit »dans une école militaire. Il fait la guerre.
On a comme l’impression que certains « spécialistes » en train de concocter de nouveaux modes de fonctionnement dans l’enseignement sont comme des ‘planqués’ loin, bien loin derrière les lignes où se passent les interventions nécessaires à l’éducation des humains , planqués derrière leurs lignes de mots fumeux visant à trouver une adéquation hypothétique entre la théorie et la pratique.
Oserais-je aussi citer un extrait d’un très bel éditorial, paru dans la revue « Eduquer », ( 1 ) une publication de la Ligue de l’Enseignement et de l’ Education permanente : (…) « l’innovation ne se décrète pas ! Elle se construit sur le terrain par l’ensemble des acteurs de l’enseignement et pas par des ‘penseurs en chambre’ qui veulent tout régenter et normaliser, par des ministres qui veulent absolument laisser leurs marques et leurs noms. Les seuls qui laissent leurs noms, ce sont soit les grands pédagogues, soit les professeurs dans la mémoire de leurs élèves, qu’ils ont marquée de leur enthousiasme et de leur amour de leur métier . »
On est bien d’accord pour dire que l’ excellence doit toujours être de mise dès lors qu’on doit « élever » quelqu’un.
Mais il est surtout bon de se rappeler cette superbe maxime : « Il faut tout un village pour élever un enfant. »
Nous ne vivons plus tous dans des villages, mais les enfants qui ont ce bonheur, savent ce que cette expression peut signifier, sentent que leur existence est reliée à d’autres, prêts à les surveiller, guider, réprimander, féliciter, taquiner, selon les cas.
Il faut beaucoup de monde, de courage, d’énergie, de dévouement et de patience
pour « élever » un(e) élève .
C’est comme un pacte tacite qui impacte tous nos rapports humains, présents et à venir.
Phil Detry humoriste belge,
et également ex-formateur en langues dans diverses institutions scolaires
et e.a . aux ACEC, chez Solvay, à l’ UCL et à l’EPFC
( 1 ) Edition n° 124 d’octobre 2016
NB « Flo-Flo » était le surnom de la philosophe Ghislaine Florival, née en 1929, et toujours en vie d’ après ce que je sais